Qu'est-ce que ce le Spasme de Vivre ?
Que reste -t¹il des jours où j¹étais si heureux ?
Un souvenir jauni comme un cahier de classe,
Enfermé à la hâte dans mon sac poussiéreux,
Si pressé que j¹étais de jouer sur la glace,
Toujours prêt aux ardeurs de gamin valeureux.
Cicatrices du temps, rayures des patins,
Encoches si profondes de l¹amour de ma mère,
Qu¹elles demeurent vives comme au premier matin :
Un sourire le soir pour fermer mes paupières
Et sentir ses cheveux et sa peau de satin.
Les pleurs que je séchais dans sa robe en velours
Emportaient mes émois autant que ma jeunesse,
Sans savoir qu¹avec l¹âge, mes rêves seraient lourds.
Pourtant j¹ai dû très tôt confier mes tristesses
À mon envie d¹écrire pour être moins balourd.
Suaves mots couchés sur mon banc d¹écolier
M¹emportant loin des cours où je suivais les mouchesŠ
Et ceux que j¹ai écrit à bord du grand voilier,
Dans le hamac de toile qui me servait de couche,
Étaient-ils différents de ceux d¹un bachelier ?
Vivrais-je assez longtemps pour apaiser ma faim ?
Il n¹y a que mes vers pour calmer ces émois,
Veiller sur ma douleur avec les séraphins.
Rien ne pourra passer ce feu qui brûle en moi,
Et mourir sur ma plume sera ma seule fin.
Emile Nelligan